Planète vagabonde

J'ai pris forme dans l'univers, et je me suis posé ici, sur la planète bleue.
Ai-je été dérouté par quelque malencontre, abusé par quelque illusion?
Car dans le repos ou l'exaltation, surgissent
d'autres images, d'autres sentiments, d'autres espaces, d'autres élans,
qui m'apportent, fugitifs et émus, les parfums d'un ailleurs souvenu.

Je chevauche l'ici et l'ailleurs.
Tout de l'ici m'est plus étrange que l'ailleurs.
L'ici est submergé de clameurs et de stupéfactions;
l'ailleurs s'irrigue d'amitié, scintille d'enthousiasme,
s'enveloppe de silence, et patiente à l'infini.

L'ailleurs et l'ici ont rendez-vous dans un havre intime et secret.

jeudi 15 juin 2006

Abandon

Henri Pourrat: Le mendiant bête (Le Trésor des Contes. “Les Fées”)

Il y avait une fois un voyageur qui passait par la montagne. Il voulut couper, tomba d'une coursière dans l'autre. Et finalement, il ne sut plus trop par où prendre.
Il marchait sur le pâturage, au milieu de la brande, quand il vit un vieil homme, un mendiant, assis sur une pierre, qui mangeait un morceau de pain.

“ - Dites, brave homme, marchant toujours par là, arriverai-je au Monastier?
- Sais pas, monsieur.
- Est-ce un chemin que je vois là-bas, vers ces trois arbres?
- Sais pas, monsieur.
- Ça a bien l'air d'en être un. Alors, où mène-t-il?
- Sais pas, monsieur.
- Sais pas, sais pas... Enfin, vous devez savoir où vous êtes, ici? Oui, dites, où sommes-nous?
- Sais pas, monsieur.
- Eh bien, moi, mon pauvre homme, je crois savoir une chose: que vous n'êtes qu'une bête, une bête bouchée.
- Ça se peut bien, monsieur, mais si bête bouchée que je sois, je viens d'où ça s'est trouvé, je vais où le vent me mène, et mon chemin, je ne l'ai toujours pas perdu.”

Un voyageur court d'un lieu à un autre en suivant un itinéraire tout tracé. Il sait d'où il vient, où il va, où il est jusqu'au moment où, pressé peut-être, il prend un raccourci, se perd dans un labyrinthe de sentiers sans issue, et finit par errer, à la merci de son regard inquiet.

Un mendiant se restaure et se repose, tranquille. Son chemin est un point de l'espace et du temps qui ne laisse aucune trace: ici et maintenant. Sans autre lieu que lui-même, sans autre temps que l'instant même, il ne se perd jamais.

Perdu dans l'entre-deux d'un lieu de départ et d'un lieu d'arrivée, d'un passé et d'un futur, égaré hors des “sentiers battus”, le voyageur touche un autre monde, un autre temps mais, occupé à courir après un savoir qui lui a échappé, il ne voit là qu'une impasse et n'y fait qu'une brève escale.

Celui qui sait suit un itinéraire déjà tracé; s'il s'écarte de son chemin, de son savoir, il tombe dans l'ignorance et l'effarement; alors commence sa quête.

Celui qui ne sait pas vagabonde; sans rien chercher, sans questionner, sans éprouver la moindre tension qui commanderait une quête, mu par un désir sans objet, pas même un désir d'être, il chemine comme un aventurier sans aventures, abandonné à l'ici et maintenant.

Aucun commentaire: