Planète vagabonde

J'ai pris forme dans l'univers, et je me suis posé ici, sur la planète bleue.
Ai-je été dérouté par quelque malencontre, abusé par quelque illusion?
Car dans le repos ou l'exaltation, surgissent
d'autres images, d'autres sentiments, d'autres espaces, d'autres élans,
qui m'apportent, fugitifs et émus, les parfums d'un ailleurs souvenu.

Je chevauche l'ici et l'ailleurs.
Tout de l'ici m'est plus étrange que l'ailleurs.
L'ici est submergé de clameurs et de stupéfactions;
l'ailleurs s'irrigue d'amitié, scintille d'enthousiasme,
s'enveloppe de silence, et patiente à l'infini.

L'ailleurs et l'ici ont rendez-vous dans un havre intime et secret.

lundi 25 décembre 2006

Le dernier rêve d'Akira

Le dernier “Rêve” d'Akira Kurosawa. 黒沢明の最後の「夢」

正直、生きてるのは良いもんだよ。とても面白い。
En fait, il fait bon vivre. C'est passionnant.

Le village

(Ceci est le texte des sous-titres, sans doute dû à Catherine Cadou, très proche de l'original japonais; il est de loin préférable au texte de la piste audio française, où le jeune homme est puéril et le vieil homme pontifiant. Or, tout ici est naturel, délicatesse, émerveillement...)

Le film sur YouTube: Watermill Village Part 1 Part 2

.

Un jeune homme (J) arrive dans un village. Il y rencontre un vieil homme (V) assis et retapant une roue de moulin à eau...

J: Bonjour. Bonjour!

V: Ah... bonjour.

J: Comment s'appelle ce village?

V: Il n'a pas de nom. Nous, on l'appelle “Le village”. Les autres l'appellent “Le village des moulins à eau”.

(Regardant la maison...)

J: Les villageois, ils habitent tous ici?

V: Non... ils habitent ailleurs.

J: Vous n'avez pas l'électricité?

V: Pas besoin. Les gens ont un faible pour ce qui est commode. Pour eux, ce qui est commode est bien, et ils rejettent ce qui est vraiment bien.

J: Comment vous éclairez-vous?

V: On a les bougies et l'huile de colza.

J: Mais la nuit est obscure...

V: La nuit, c'est fait pour ça. Des nuits claires comme le jour, non merci. On ne pourrait pas voir les étoiles. Ce serait dommage.

J: Vous avez des rizières... mais pas de motoculteurs ou de tracteurs.

V: Pas besoin. On a des vaches, des chevaux aussi.

J: Quel combustible utilisez-vous?

V: Principalement du bois. Il est certes fâcheux de couper un arbre vivant, mais il y en a assez de morts. Ça suffit largement. En plus, calcinés en charbon de bois, quelques arbres chauffent autant qu'une immense forêt. J'oubliais... la bouse de vache, quel bon combustible!

* * * * * * *

V: Nous essayons le plus possible de vivre la vie naturelle d'antan. Les gens d'aujourd'hui ont oublié qu'ils étaient parcelle de la nature. Alors qu'elle est notre vie, nous la violentons, espérant en tirer quelque chose de mieux.
Les savants, surtout. Ils sont peut-être intelligents, mais nombreux sont ceux qui méconnaissent le coeur profond de la nature. Cette engeance se flatte d'oeuvrer à des inventions qui font le malheur des hommes. Le pire, c'est que la majorité des gens, pleins de gratitude, tiennent ces inventions imbéciles pour des miracles et encensent leurs inventeurs. Aveugles à la déperdition de la nature, ils ne voient pas qu'ils courent à leur perte.
L'homme a besoin pour vivre d'air pur et d'eau claire... et aussi des plantes qui les produisent. Tout est souillé tant et plus, perdu à tout jamais. Souillés, cet air et cette eau souillent à leur tour le coeur des hommes.

* * * * * * *

J: Dites-moi... en venant ici tout à l'heure, j'ai vu des enfants déposer des fleurs près du pont. Pour quoi faire?

V: Oui, je vois. Feu mon père m'a raconté autrefois qu'un jour, il y a longtemps, un voyageur malade avait rendu l'âme près du pont. Compatissants, les villageois l'y avaient enterré. En guise de tombe, ils mirent une pierre et offrirent des fleurs. Cette coutume a subsisté. Non seulement les enfants, mais tous ici posent une fleur en passant, sans bien savoir pourquoi.

(On entend une musique dans le lointain...)

J: Il y a une fête aujourd'hui?

V: Non, c'est un enterrement. Vous en faites une tête! En fait, c'est une célébration. Une vie bien vécue, le travail accompli... tout cela mérite d'être fêté. Au village, nous n'avons ni temple ni bonze, alors, tous les villageois accompagnent le défunt en choeur, jusqu'au cimetière sur la colline. Mais on n'aime pas voir mourir les jeunes ou les enfants, c'est dur à célébrer. Par chance, pour la plupart, vivant une vie proche de la nature, nous mourrons en accord avec notre âge. Celle qu'on enterre aujourd'hui avait atteint le bel âge de 99 ans. Je dois d'ailleurs rejoindre la procession, veuillez m'excuser.
À vrai dire, la défunte a été mon premier amour. Me brisant le coeur, elle en a épousé un autre.

* * * * * * *

J: Au fait, quel âge avez-vous?

V: Moi? Cent et trois ans. Un bon âge pour cesser de vivre.
Mais écoutez. On dit que c'est dur, la vie... tout ça, c'est du boniment.
En fait, il fait bon vivre. C'est passionnant.

(Le vieil homme se joint au joyeux cortège...)

vendredi 20 octobre 2006

Printemps

...  ne pas arrêter le flot torrentiel de ma vie
ne pas m'attacher
vivre joyeusement
cueillir ce qui s'offre
saluer ce qui se refuse
aller comme le jaillissement du printemps
...

dimanche 8 octobre 2006

Vie

J'ai quitté un dieu tyrannique pour un dieu aimant et généreux, puis rejeté l'étroitesse et l'orgueil de son visage humain pour embrasser l'infini de l'univers et me confondre avec lui; aujourd'hui, je veux exorciser toute image et avoir affaire à la vie.

Que sais-je de la vie?

Au diable - c'est bien le mot - toutes les questions: elles ne sont que prétextes à temporiser indéfiniment, tarder à vivre. Me demander si j'ai peu ou mal vécu n'est pas vivre. Je n'en sais rien et n'en veux rien savoir. Voilà: les questions sont des jugements qui entraînent d'autres questions et m'enchaînent à un manège qui ne s'arrête jamais. Il est temps d'être seulement.

mercredi 27 septembre 2006

En Marche

“Debout! En marche!”

“Debout! En marche!”, c'est le mot hébreux ashréi, qui évoque la rectitude de celle ou celui qui marche sur une route qui va droit vers IHVH, qui marche résolument sur une route sans obstacle (André Chouraqui).

Debout et en marche.

Ce n'est pas une simple bénédiction, ce ne sont pas de simples “Béatitudes” pour celui qui aspire au souffle sacré, mais une incitation à se mettre debout et aller de l'avant.

“Debout! En marche!”: si je trébuche? je continue!

(Matthieu 5, 2-12)

Iéshoua‘: “En marche, les humiliés du souffle!... les endeuillés!... les humbles!... les affamés et les assoiffés de justice!... les matriciels!... les coeurs purs!... les faiseurs de paix!... les persécutés à cause de la justice!... quand ils vous outragent et vous persécutent, en mentant vous accusent de tout crime, à cause de moi.

Je me mets debout. Je me mets en marche. Je suis.

Epreuves

Synthèse de Matthieu 4, 1-11 et Luc 4, 1-13

Iéshoua‘, rempli par le souffle sacré, revient du Iardèn.

Il est conduit dans le souffle au désert, quarante jours éprouvé par le diable. Il jeûne quarante jours et quarante nuits. Après, il a faim.

1 L'éprouvant s'approche de lui et dit:

“Si tu es fils d'Élohîms, dis que ces pierres deviennent des pains.”

Iéshoua‘ répond et dit:

“C'est écrit: ‘l'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche d'Élohîms’.” (Deutéronome 8, 3: “l'humain ne vit pas que de pain seul: l'humain vit de tout ce qui sort de la bouche d'Adonaï.”)

2 Alors le diable le prend avec lui et le conduit à Iéroushalaîm; il le met sur le faîte du sanctuaire et lui dit:

“Si tu es fils d'Élohîms, jette-toi d'ici en bas. Oui, c'est écrit: ‘Il prescrit à ses messagers qu'ils le gardent.’ Et: ‘Sur leurs mains, ils te soulèveront, pour que ton pied ne heurte pas une pierre’.” (Psaumes 91, 11-12: “Oui, il ordonne à ses messagers de te garder sur toutes tes routes. Ils te portent à deux paumes, pour que ton pied ne heurte pas de pierre.”)

Iéshoua‘ répond et lui dit:

“Il est écrit, par contre: ‘N'éprouve pas Adonaï, ton Élohîms’.” (Deutéronome 6, 16: Vous n'éprouverez pas Adonaï, votre Élohîms.”)

3 Le diable le prend à nouveau avec lui sur une très haute montagne. Il lui montre tous les royaumes de l'univers et leur gloire. Il lui dit:

“Je te donnerai toute autorité sur eux et leur gloire. Oui, elle m'a été livrée et je la donne à qui je veux. Pour toi donc, si tu t'inclines et te prosternes devant moi, elle sera à toi, toute.”

Iéshoua‘ répond et lui dit:

“C'est écrit: ‘Prosternes-toi en face d'Adonaï, ton Élohîms. Sers-le, lui seul!’.” (Deutéronome 6, 13: “Frémis de Adonaï, ton Élohîms, sers-le, jure par son nom.”)

Ayant épuisé toute épreuve, le diable le laisse et s'écarte jusqu'au temps fixé.

Et voici, des messagers s'approchent de lui; ils le servent.

* * * * * * *

La vie matérielle est manque et inquiétude: il faut nourrir son corps, assurer sa sécurité, avoir du pouvoir sur les choses. Tout y est toujours à refaire.

La vie spirituelle se nourrit généreusement d'elle-même (“de la bouche d'Élohîms”), on y entre par la foi (“N'éprouve pas”), on l'entretient par la gratitude (“Prosternes-toi... Sers-le, lui seul!”).

Le monde matériel peut faire obstacle à l'écoulement de la vie spirituelle, mais jamais il ne l'arrête. Et dès que l'obstacle est levé (“Ayant épuisé toute épreuve”), elle se remet à s'écouler (“Et voici, des messagers s'approchent de lui; ils le servent”).

La foi, l' “adhérence”, est une manière d'être, une manière de vivre où générosité et gratitude sont une, où la vie et moi sommes un; c'est l'affaire des enfants et des fous.

“Venez à moi, vous tous, les fatigués, les surmenés; je vous donnerai le repos.
Prenez sur vous mon joug, apprenez de moi que je suis humilié et petit de coeur: vous trouverez le réconfort pour vos êtres.
Oui, mon joug est utile, mon fardeau léger.”(Matthieu 11, 28-30)

Je prends ton joug, ton fardeau léger, pour sortir de ma cage et embrasser toute la vie.

mercredi 23 août 2006

Conscience

ou plutôt délicatesse de conscience.

On considère d'habitude qu'une réponse du Yi Jing ne vaut que pour le moment où la question est posée. Pour ma part, j'estime que c'est au questionneur de fixer la portée de la réponse.

J'affirme donc que le Yi Jing doit pouvoir répondre à des questions qui visent la totalité de l'existence; pour ce faire, je considère que tout ce qui se réfère au moment équivaut à exprimer les circonstances globales de la vie du questionneur.

* * * * * * *

Un jour, j'ai manipulé les baguettes d'achillée pour demander au Yi Jing de me suggérer une manière de parvenir à la paix intérieure, au calme de l'esprit, et de les préserver.


Il m'a répondu par l'hexagramme 62 “Xiao Guo”, “La prépondérance du petit", formé du trigramme ☳, “zhen”, “L'ébranlement, l'éveilleur, le tonnerre”, surmontant le trigramme ☶, “gen”, “L'immobilisation, la montagne”.

La signification générale de cet hexagramme est donnée par le jugement que voici:

PRÉPONDÉRANCE DU PETIT. Succès.
La persévérance est avantageuse.
On peut faire de petites choses,
on ne peut pas faire de grandes choses.
L'oiseau qui vole apporte le message:
Il n'est pas bon de s'efforcer de monter,
il est bon de demeurer en bas.
Grande fortune.

Voici une partie du commentaire de ce jugement rédigé par Richard Wilhelm:

Une humilité et une délicatesse de conscience hors de pair seront sûrement récompensées par le succès.
Il importe toutefois que ces attitudes ne constituent pas un formalisme vide et n'émanent pas d'une nature servile, mais qu'elles demeurent liées à la dignité qui convient dans la conduite personnelle, de manière à éviter qu'on ne s'avilisse.
On doit comprendre les exigences du moment pour trouver le juste complément des lacunes et des aspects nocifs de l'époque.
En tout cas on ne doit pas se laisser bercer de l'idée d'un grand succès, car la force nécessaire pour cela fait défaut.
C'est pourquoi on doit attacher une telle importance au message enjoignant de ne pas tendre vers des réalités élevées, mais de s'en tenir aux plus humbles.
Le fait que le message est apporté par un oiseau ressort de la forme de l'hexagramme... cela donne l'image de l'oiseau qui plane.
Toutefois l'oiseau ne doit pas se montrer présomptueux et vouloir voler jusqu'au soleil, mais il faut qu'il redescende sur la terre où est son nid.

L'humilité est dite sans servilité, elle consiste à s'occuper, tout en gardant une attitude digne, de choses de “peu d'importance, peu d'envergure, peu d'éclat” (TLF, synonyme: modestie).

Comment ce “jugement” répond-il à la question que j'ai posée?
Il me suggère que je ne peux obtenir la paix intérieure en prenant de l'élévation, de la hauteur, de la distance par rapport aux contingences du présent.
Je ne dois pas fuir les réalités immédiates, concrètes, petites, modestes, en m'envolant vers des pensées ou des aspirations supérieures, mais leur faire face.
Dans un face-à-face sans condescendance, sans présomption, mais avec une attention respectueuse, avec une conscience délicate, fine et légère, comme lorsque je me promène dans un jardin.

Que je me détourne donc des grandes œuvres et des grandes aspirations, et que je demeure, ou revienne vivre, sur la terre, avec finesse et légèreté.

La paix intérieure est l'amie des petites choses et de la simplicité.

lundi 7 août 2006

Nymphes

Nymphes, femmes, j'aime à contempler l'éclat de votre nudité, aussi fraîche qu'une naissance, si pudique, si impudique!

Accueillez mes baisers et mes caresses, tour à tour doux et appliqués, tour à tour ardents et tendres, selon les élans de nos joyeuses passions.

Celui que vous invitez en votre demeure, au plus profond des eaux, disparaît à jamais, dit-on... Pourquoi en reviendrait-il?

Nymphes et satyre - Bouguereau
Nymphes et satyre
William Bouguereau
(1873)

Nymphe aux volubilis - Lefèbvre
Nymphe aux volubilis
Jules-Joseph Lefèbvre
(?)

Hylas and the Nymphs - Waterhouse
Hylas and the Nymphs
John William Waterhouse
(1896)

(Cliquez sur les images pour les agrandir.)

* * * * * * *

Merci à Wikipédia pour les Nymphes.

jeudi 27 juillet 2006

Charme

La Reine des Sorcières a dit à la novice:

“Tu devrais le savoir! Apprends, petite gourde, que tu ne dois pas user, pour ensorceler un homme, de charmes compliqués avant d'avoir épuisé tous les charmes naturels dont ton maître t'a pourvue quand tu es née. Tu dois, pour l'ensorceler, lui danser une danse endiablée.

“Hors de sa vue, commence par te dévêtir entièrement, parfume-toi discrètement et revêts une robe courte, pas plus longue que mi-cuisse, aux fines bretelles, au ton noir ou foncé, qui laisse deviner tes charmes à la lumière atténuée, et qui soit généreusement décolletée. Tu peux aussi, si tu le souhaites, orner tes cheveux et tes oreilles. Mais ne porte ni collier, ni bracelet, bague, ceinture, chaussure ni aucun autre accessoire.

“Puis rejoins-le dans la pièce sobrement éclairée où il t'attend et dis-lui: ‘Regarde, je danse pour toi!’. Mets-toi aussitôt à danser, saute, lève haut les bras, haut les jambes, prends des poses lascives, pousse de petits cris, laisse la frénésie te gagner et, au plus fort de l'endiablée, jette-lui ta robe. Quand enfin tu t'arrêteras, nue, haletante, épuisée, tu verras l'homme ensorcelé, les yeux exhorbités, se prosterner devant toi.

“Alors tu le commanderas et il fera tout ce que tu voudras. Mais ne le méprise pas, car s'il t'a séduite, c'est qu'à son insu il t'a toi-même libérée d'un charme qui pesait sur toi.

“Pour qu'il ne s'échappe pas, demande-lui tous ses habits et cache-les. Invente-lui un nom, ou dis-lui simplement: ‘Toi, fais-moi ceci, Toi, fais-moi cela...’ Donne-toi un nom par lequel il te nommera: ‘Madame, Mademoiselle, Maîtresse, ou bien Ensorcelia, Voluptua, etc...’

“Désormais, chaque fois qu'il sera seul avec toi et que tu voudras l'ensorceler, tu n'auras qu'à le regarder dans les yeux et lui jeter: ‘Charme, prends-le!’, et il retombera aussitôt en ton pouvoir. Pour rompre le charme, commence par lui rendre ses habits et, une fois qu'il les aura revêtus, ordonne-lui de s'allonger, endors-le, et dis: ‘Charme, laisse-le!’ Il se réveillera et s'excusera de s'être assoupi.”

Ayant ainsi parlé, la Reine des Sorcières disparut à l'instant, et son rire s'évanouit peu à peu au fond de la nuit.

vendredi 21 juillet 2006

Accueil

“Laissez les petits enfants venir à moi. Ne les empêchez pas: oui, il est pour leurs pareils, le royaume d'Élohîms.
Amén, je vous dis: qui n'accueille pas le royaume d'Élohîms comme un petit enfant n'y entre pas.
Il les prend dans ses bras...” (Marc 10, 14-16)

Tu me dis: “Adhérer à moi, c'est m'accueillir, c'est m'ouvrir ta porte, car la porte qui te ferme à moi est aussi celle qui t'ouvre à moi.”
Si je t'ouvre ma porte, je m'ouvre ta demeure.
Ce qui nous sépare, ce n'est que ma porte, et sa poignée est de mon côté.
Ma porte, c'est mon libre choix. Tu me dis: “Vis sans moi, ou vis avec moi. Si tu veux vivre avec moi, ouvre-moi simplement ta porte. Je t'accueille à ta porte, accueille-moi”.

Tu me dis: “Toi le petit enfant, viens à moi!”

Tu me dis: “Moi le petit enfant, accueille-moi!”

Loin, au fond de mon oreille, cascade un rire d'enfant.

“Je te juge selon ta bouche...” (Parabole des talents ou des mines, Luc 19, 22)

“Ne jugez pas, afin de ne pas être jugés. Oui, du jugement dont vous jugez vous serez jugés; de la mesure dont vous mesurez il sera mesuré pour vous.” (Matthieu 7, 1-2)

L'écho me dit: “Je suis qui tu dis que je suis” et le reflet du miroir: “Je te regarde avec tes yeux.”

mardi 18 juillet 2006

Adhérer

Bar-Timaï (Marc 10, 51-52)

Iéshoua‘ lui répond et dit: “Que veux-tu que je fasse pour toi?”
L'aveugle lui dit: “Rabbouni! que je voie!”
Iéshoua‘ lui dit: “Va! Ton adhérence t'a sauvé!”

Petits enfants (Marc 10, 15)

“Amén, je vous dis: qui n'accueille pas le royaume d'Élohîms comme un petit enfant n'y entre pas.”

Adhérence

“Si vous aviez de l'adhérence comme une graine de moutarde, vous diriez à ce sycomore: ‘Déracine-toi et plante-toi dans la mer!’; et il vous obéirait.” (Luc 17, 6)

“Amén, oui, je vous dis, si vous aviez de l'adhérence comme une graine de moutarde, vous diriez à cette montagne: ‘Déplace-toi d'ici à là’, et elle se déplacerait. Rien ne vous serait impossible.” (Matthieu 17, 20)

“Adhérez à Élohîms.
Amén, je vous dis, qui dit à cette montagne: ‘Lève-toi et jette-toi dans la mer’, sans avoir de doute au coeur, mais en adhérant, s'il croit que ce qu'il dit va se réaliser, cela le sera pour lui.
Ainsi je vous dis: pour tout ce que vous demanderez en priant, adhérez. Croyant que vous allez recevoir, cela le sera pour vous.” (Marc 11, 22-24)

lundi 17 juillet 2006

Religion

L'être humain que je suis porte sur la religion un regard double, ambivalent.
Est-ce que je dois lui savoir gré de m'avoir ouvert à la dimension spirituelle de la vie humaine?
Ou bien est-ce que je dois lui reprocher de m'avoir dépossédé d'une dimension qui m'appartient en propre et de l'avoir retournée contre moi?
Quelle que soit la spiritualité instituée que j'envisage, je ne vois que pouvoir menaçant avoué ou hypocrite, et exaltation de la soumission, ce qui revient au même.
Je ne vois guère de différence entre le religieux et le politique, mais le même chantage au malheur pour mon bien: soumets-toi à moi sinon j'enverrai mes sbires et tes frères contre toi, soumets-toi à moi sinon les dieux te puniront ou tu renaîtras pour une vie de souffrances.
Plutôt que de continuer sans fin d'argumenter le pour et le contre, il m'apparaît lucide d'ôter à la religion le monopole du spirituel, qui ne lui appartient pas, et de créer moi-même la relation que je souhaite entretenir avec l'univers.
Je récuse donc tous les pouvoirs, c'est-à-dire tous les gangs politiques, religieux et autres malfaisants publics, et je les abandonne à leur tapageuse vanité.

Loin de l'épuisante logorrhée de certains textes dits sages ou sacrés, je veux meubler ma demeure de silence et de simplicité. Car je suis intimement - viscéralement - convaincu que le silence et la simplicité sont mes nourritures essentielles.

Univers, que je ne sais pas regarder sans me faire une image de toi, c'est à notre générosité que je me confie.

samedi 15 juillet 2006

Genèse

Je dois ma religion aux circonstances de ma naissance: la seule raison, la vraie, pour laquelle j'ai reçu une éducation chrétienne, c'est que je suis né dans une famille chrétienne. Alléguer une autre raison que celle-là n'est qu'idéologie, c'est-à-dire moyen de coercition. “Les circonstances de ma naissance”, c'est une raison qui vaut aussi pour ma nationalité, la couleur de ma peau, mon genre (comme disent les anglo-saxons, c'est-à-dire mon sexe) et, pourquoi pas, pour l'espèce humaine, voire le règne animal auxquels j'appartiens.

Voilà également la seule raison pour laquelle je ne “défends” pas le christianisme “contre” le judaïsme, l'islam, le bouddhisme, le taoïsme, etc., ni non plus les Français contre les Étrangers, les Blancs contre les Noirs ou les Jaunes, etc., les hommes contre les femmes, les humains contre les autres espèces animales, et les animaux contre les végétaux et les minéraux.

J'ai été convié dès mon plus jeune âge à lire la Bible. Ce vaste pilier de justice m'a instillé le poison de la peur, celle du coupable que sa mauvaise volonté voue à la punition une fois sa mort venue.

C'est en voulant exorciser cette peur qui me hantait que je suis revenu comme un enfant prodigue vers le temple et là, un jour, au cours d'une réunion d'étude qui portait sur la Genèse, premier livre de La Bible, un “miracle” s'est produit.

Le miracle, c'est un verset quasiment anodin de la Genèse, le 15e du 2e chapitre, dont toutes les versions que j'ai pu trouver en librairie se résument à celle de Louis Second (Alliance Biblique Universelle):

L'Éternel Dieu prit l'homme et le plaça dans le jardin d'Éden pour le cultiver et pour le garder.

Toutes ces traductions disent la même chose: Dieu a mis Adam dans l'Éden pour l'y employer comme jardinier et gardien. C'est-à-dire que Dieu a créé l'homme pour en faire son serviteur, son employé.

Mais en ce jour de grâce-là, j'ai pris connaissance de la traduction qu'André Chouraqui (Desclée de Brouwer) en avait faite, et sans laquelle ce verset aurait continué, tout en demeurant inaperçu, d'accomplir son oeuvre coupable dans mon subconscient. Voici la traduction d'André Chouraqui:

IHVH-Adonaï Élohîms prend le glébeux et le pose au jardin de ‘Édèn, pour le servir et pour le garder.

Et voilà la création remise dans le bon sens: Dieu a créé l'homme, non pour en faire son esclave mais, en être responsable de sa création (quand bien même c'est elle qui lui aurait demandé d'être créée), il se met à son service et lui assure sa protection.

Plus de père fouettard qui guette le moindre faux-pas pour sévir. Rien d'autre que de l'amour, rien d'autre que de la générosité. Et pour la première fois sans doute, j'ai éprouvé un immense sentiment de joie et de gratitude.

Alors, comme s'ils n'attendaient que cet instant pour bondir à la lumière et me conforter dans ma découverte, ont ressurgi pêle-mêle des fragments des Évangiles (désormais tous les extraits sont pris dans la version d'André Chouraqui):

Fixez les oiseaux du ciel: ils ne sèment pas, ne moissonnent pas, n'engrangent pas dans les granges. Mais votre Père des ciels les nourrit.(Matthieu 6, 26)
Remarquez les amaryllis des champs, comme elles croissent sans peiner ni filer. Or je vous dis: même Shelomo dans toute sa gloire n'était pas vêtu comme l'une d'elles.(Matthieu 6, 28-29)
Et moi je vous dis: Demandez, il vous sera donné. Cherchez, vous trouverez. Frappez, il vous sera ouvert. Oui, tout demandeur reçoit; tout chercheur trouve; à tout frappeur il est ouvert.
Quel père parmi vous à qui son fils demande un poisson lui donne, au lieu de poisson, un serpent? Ou, quand il lui demande un oeuf, lui donne un scorpion?
Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de beaux dons à vos enfants, combien plus le Père des ciels donne le souffle sacré à ceux qui le lui demandent. (Luc 11, 9-13)

Néanmoins je dois dire que je fus le seul à m'enthousiasmer ce jour-là et que mes partenaires ont tout simplement éludé, voire méprisé la question (et le questionneur). De sorte que je leur ai retiré ma confiance et que, dès lors, j'ai dû inventer tout seul mon chemin.

Tout seul? Non, puisque j'avais désormais pour ami un “dieu” bienveillant. Un dieu? Non, pas ce visage humain trop restrictif, trop exclusif, trop complaisant à l'orgueil humain. Non, pas un dieu, mais l'univers tout entier pour partenaire, et pour l'éternité retrouvée.

jeudi 13 juillet 2006

Bulles

L'éphémère (tanka)

je suis l'éphémère
j'apparais, je disparais
ma trace est parfum
mon aile épouse les brises
l'univers est mon jardin

 

Nu

trotter dans les bois et les prés
courir jusqu'à en perdre haleine
crier des chansons à tue-tête
surprendre l'éveil des oiseaux
dans le miroir d'une rivière
jouer avec les gouttes d'eau
grimper à la cime des arbres
me balancer de branche en branche
demeurer attentif aux êtres
avec bonté et bienveillance
donner vie à mes rêveries
mourir dans un lieu oublié
planer comme un oiseau, léger
ne vivre que d'air et d'eau fraîche
et de fruits cueillis aux buissons
causer avec les animaux,
les herbes, les fleurs et les arbres,
les rocs, les ruisseaux, les collines
voir le soleil naître des flots
puis cligner sa dernière flamme
ne dormir qu'à la belle étoile
me réveiller heureux de vivre
les soirs d'été, vautré sur l'herbe,
m'accoupler avec les étoiles
accueillir ces filles sauvages
qui, les yeux plongés dans mon âme,
s'enroulent sur moi en riant
et puis m'alléger, m'alléger!

 

Vénus

La Naissance de Vénus - Bouguereau
La Naissance de Vénus
William Bouguereau
(1879)

La Naissance de Vénus - Boticelli
La Naissance de Vénus
Sandro Botticelli
(1485)

dès que je me mets à écrire
je me fige, contaminé
par le sérieux, mortel poison.

pourquoi ce corset qui m'oppresse
me garde-t-il de la folie
ou bien de la dissolution?

je n'ai pas oublié, Vénus
voluptueuse et passionnée
que c'est toi qui m'as enfanté.

consacre mon corps au plaisir
mon âme suivra sans faillir
impudique et dévergondée.

(Cliquez sur les images pour les agrandir.)

jeudi 15 juin 2006

Abandon

Henri Pourrat: Le mendiant bête (Le Trésor des Contes. “Les Fées”)

Il y avait une fois un voyageur qui passait par la montagne. Il voulut couper, tomba d'une coursière dans l'autre. Et finalement, il ne sut plus trop par où prendre.
Il marchait sur le pâturage, au milieu de la brande, quand il vit un vieil homme, un mendiant, assis sur une pierre, qui mangeait un morceau de pain.

“ - Dites, brave homme, marchant toujours par là, arriverai-je au Monastier?
- Sais pas, monsieur.
- Est-ce un chemin que je vois là-bas, vers ces trois arbres?
- Sais pas, monsieur.
- Ça a bien l'air d'en être un. Alors, où mène-t-il?
- Sais pas, monsieur.
- Sais pas, sais pas... Enfin, vous devez savoir où vous êtes, ici? Oui, dites, où sommes-nous?
- Sais pas, monsieur.
- Eh bien, moi, mon pauvre homme, je crois savoir une chose: que vous n'êtes qu'une bête, une bête bouchée.
- Ça se peut bien, monsieur, mais si bête bouchée que je sois, je viens d'où ça s'est trouvé, je vais où le vent me mène, et mon chemin, je ne l'ai toujours pas perdu.”

Un voyageur court d'un lieu à un autre en suivant un itinéraire tout tracé. Il sait d'où il vient, où il va, où il est jusqu'au moment où, pressé peut-être, il prend un raccourci, se perd dans un labyrinthe de sentiers sans issue, et finit par errer, à la merci de son regard inquiet.

Un mendiant se restaure et se repose, tranquille. Son chemin est un point de l'espace et du temps qui ne laisse aucune trace: ici et maintenant. Sans autre lieu que lui-même, sans autre temps que l'instant même, il ne se perd jamais.

Perdu dans l'entre-deux d'un lieu de départ et d'un lieu d'arrivée, d'un passé et d'un futur, égaré hors des “sentiers battus”, le voyageur touche un autre monde, un autre temps mais, occupé à courir après un savoir qui lui a échappé, il ne voit là qu'une impasse et n'y fait qu'une brève escale.

Celui qui sait suit un itinéraire déjà tracé; s'il s'écarte de son chemin, de son savoir, il tombe dans l'ignorance et l'effarement; alors commence sa quête.

Celui qui ne sait pas vagabonde; sans rien chercher, sans questionner, sans éprouver la moindre tension qui commanderait une quête, mu par un désir sans objet, pas même un désir d'être, il chemine comme un aventurier sans aventures, abandonné à l'ici et maintenant.